Description de Sancerre de Léopold Bonnin : Mode de Culture de la Vigne


Mode de Culture de la Vigne (1)

Les pentes de la montagne de Sancerre sont couvertes de vigne qui produisent d’excellents vins rouges et blancs dont la majeure partie est expédiée sur Paris . (2)

La vigne occupe dans la commune de Sancerre une surface d’au moins 400 hectares et elle y pousse avec une vigueur peu commune. Le climat Sancerrois est des plus favorables à la viticulture et à la production des {Bonnin page : 15} raisins et des bons vins. Car il se trouve en plein dans la zone centrale si remarquable par la saveur sucrée que sa température modérée et son humidité suffisante donnant à tous les fruits à jus et à pulpes alimentaires. Il grêle très peu à Sancerre mais les gelées de printemps et les pluies froides de juin y diminuent souvent la récolte des vignes, les dernières surtout pas la coulure. (3)

On compte jusqu’à quarante mille ceps à l’hectare, mille ceps à la journée et quarante journées à l’hectare. (4)

Tous les ceps sont garnis d’un échalas appelé vulgairement charnier ou pessiau , d’un mètre 33 centimètres de hauteur, à une distance moyenne de cinquante centimètres, mais en foule et pêle-mêle, sans alignement dans aucun sens. Chaque cep y tient peu de place par sa tige taillée sur un mode uniforme. (5)

La taille qui de fait aujourd’hui au sécateur (cisailles d’acier) s’opérant encore avant 1875 suivant le vieux mode Sancerrois, c’est à dire à la serpe ou au couteau pléjoué . On appelait de la sorte un très gros couteau dont la lame était recourbée à la façon de la serpe et qui pouvait se fermer. De là son nom de couteau pléjoué (ou qui est pléyé , ce dernier mot employé pour plié, recourbé). La taille se borne à deux ou trois coursons , un ou deux inférieurs à un ou deux yeux et un supérieur appelé le majeur à trois yeux et quelque fois à quatre. (6)

La plantation de la vigne se fait dans le Sancerrois sans défoncement général du sol, ou fossés de vingt cinq centimètres de profondeur sur cinquante de largeur, pour deux rangs. On prend pour bouture la crossette ou le simple serment qui sont coudés au fond du fossé de façon à traverser horizontalement ce fond, l’extrémité libre étant relevée verticalement le long du bord opposé. Le fossé est rempli de terre fortement tassée, le tassement étant nécessaire pour assurer la reprise et la force de la végétation. La plantation plus bas que vingt cinq centimètres ne réussit pas. (7)

Le vigneron enlève l’écorce ou plutôt l’épiderme de chaque coté de la bouture, sur une étendue de seize à vingt centimètres dans sa partie enfouie quand il néglige cette précaution les trois cinquième de ses boutures périssent, il en meurt peu au point avec l’écartement et les pousses sont plus vigoureuses. On laisse à la hauteur deux ou trois yeux hors de terre. A la première taille on rase sur le sarment le plus bas et on rogne celui-ci à deux yeux et ce n’est qu’à la 4ème année que l’on met l’échalas et que la taille, à une ou deux retraites (coursons ) et à un majeur lié avec un oser à l’échalas , est définitivement établie. (8)

On n’ébourgeonne pas, mais on relève et on attache les pampres à l’échalas avec un lien de paille, à la fleur, fin de juin au commencement de juillet c’est un {Bonnin page : 16} qu’on appelle l’accolage (9)

On rogne en même temps les pampres qui dépassent l’échalas et à mesure qu’ils grandissent encore de nouveau, on les rogne pour la nourriture des chèvres, à la fin d’août on découvre tout en fait les ceps en enlevant les repousses pour laisser circuler l’air et pénétrer le soleil avant la vendange. (10)

L’entretien de la vigne se fait par le provignage qu’on pratique en mars ou en avril. A la même époque, on détruit avec sain les souches stériles qui ont été marquées à la vendange précédente avec un osier. Le provignage se fait ordinairement avec deux bonnes souches marquées aussi à l’avance, qu’on déchausse et qu’on abat dans une fosse d’un mètre carré, appelé crot , pour faire avec deux beaux sarments laissés sur chacune d’elles quatre jeunes plants qui sortent aux quatre angles du crot et qui sont soutenus par un échalas . Le crot ne doit pas avoir plus de 30 centimètres de profondeur. Les sarments sont recouverts d’un peu de terre sur laquelle ou étale une hottée de fumier ou environ vingt cinq à trente litres puis on remet de la terre jusqu’à ce que le crot soit rempli à moitié, ce n’est que l’année suivante qu’on achève de remplir le crot . (11)

On pratique aussi environ huit cents crots à l’hectare, ce qui revient à dire qu’on y fait 3200 plants jeunes, chaque année, en y employant 1600 plants anciens, mais en bon rapport. C’est le rajeunissement de la vigne par douzième. Quand le provignage est bien fait, il n’y a pas interruption dans la récolte, il y a au contraire augmentation notable pendant huit ou dix ans dans les ceps provignés. (12)

Les cultures ou façons donnés à la vigne sont au nombre de trois. La 1ère est pratiquée après la vendange. Le 2ème est un piochage en mai, donné à pleine pioche et le 3ème est un binage en juillet. (13)

Les cépages dominants sont au raisins rouges, le pineau noir qui fait le faut de toutes les bonnes vignes et de tous les bons vins du Sancerrois ; le grand noir qui donne les vins communs, le meunier et le gamay.  Parmi les vins blancs, le pineau blanc, le pineau gris ( qui commence à disparaître), le sauvignon, le meslier, le chasselat ou muscadet. (14)

Sancerre fournit de très bon vin rouges de table rappelant les bons Bouzy rouges de la Champagne, Chavignol et Amigny donnant des vins blancs justement renommés, possédant réellement la franchise, la finesse et l’agrément des deuxièmes crus de la Marne. (15)

La production moyenne des vignes de vignerons est de 2 hectolitres (ou une pièce) à la journée de vigne comptant douze ares cinquante centiares. La récolte des propriétaires faisant cultiver par des vignerons n’est que d’un hectolitre. (16)

La culture des vignes, à Sancerre, se fait toute à façon, au prix de sept à huit francs la journée de 2 ares 50 centiares. Les crots sont payés à part au {Bonnin page : 17} prix de dix centimes l’un. Le prix moyen de la journée d’un journalier vigneron est de deux francs cinquante centimes seulement pour le piochage et le binage. Elle est de trois francs pour la taille et la plaie. (17)

Les vignes les plus rapprochées de la ville se paient jusqu’à cinq cents francs la journée. Les plus médiocres valent de 200 à 300 francs. (18)

La vendange, qui a lieu ordinairement du vingt septembre au quinze octobre s’opère par journaliers (hommes, femmes ou enfants) qui se divisent en deux catégories, les hotteurs et les vendangeurs , lavés chaque matin, de deux heures à quatre heures sur la Place de l’Orme de Saint Père . Elle se fait en paniers versés dans des hottes goudronnées qui sont à leur tour vidées dans des tines , à terre, lesquelles sont ensuite chargées sur voiture. Pour les vins rouges on emplit la cave dans le plus court délai possible en y laissant un vide de vingt à vingt cinq centimètres. On laisse fermenter pendant quatre à six jours, puis on foule à corps nu tous les jours. La cuvaison est aussi prolongée jusqu’à dix jours. On tire en pineaux neufs, en pressent et l’on mélange le vin de prose avec le vin de goutte . Quant aux vins blancs, on les obtient de raisins rouges et blancs, en les soumettant immédiatement à l’action du pressoir (pressoir à vin). (19)

Depuis quelques années, les raisins rouges sont achetés en grande quantité par des maisons de Paris , pour la fabrication du vin de Champagne. Ils sont ainsi que je viens de le dire, pressés immédiatement après la récolte et le vin logé dans des fûts de six à dix hectolitres qui sont expédiés sur la capitale ou en Champagne. Il se fait aussi un grand commerce sur les muscadets bleues qui sont également envoyés à Paris pour y être consommés comme dessert. (20)

J’ai indiqué ci dessus comment la vendange se fait actuellement. Il ne sera peut-être pas sans intérêt de clamer quelques détails sur la manière dont elle s’opérait il y a une trentaine d’années. (21)

Il n’y avait pas de bon de vendange. (22)

Les journaliers étaient loués, comme aujourd’hui, chaque matin, à la Place de l’Orme de Saint Père , aussi que les voituriers . Ceux-ci étaient alors excessivement rares. (23)

Il n’existait à cette époque qui très peu de chevaux dans la commune mais en revanche beaucoup de mulets et d’ânes. Il est bon de dire aussi que les chemins vicinaux et ruraux, c’est à dire les grands chemins communaux et les petits n’étaient pas en si bon état qu’aujourd’hui. On ne se servant en conséquence, que très peu des tines . Les transports étaient faits à dos d’âne ou de mulet, ces animaux se prêtant admirablement aux courses dans les chemins mal entretenus et dans les sentiers des vignes. On verra plus loin pourquoi je dis dans les sentiers. Chacun de ces animaux de chaque coté du bât une {Bonnin page : 18} vente de petit tonnelet ouvert par le haut, qu’on appelait un boyer et qui contenait une demi tine de vendange ou environ 60 à 70 litres. Les gens d’Amigny avec leurs mulets et cave de Chavignol et de Bué avec leurs ânes avaient la spécialité de ce genre de transport. A l’arrivée à la maison, le conducteur détachait ses boyers et les vidait dans une tine qui était à son tour descendue à la cave. (24)

Après s’être assuré que la vendange était terminée et cinq ou six jours après l’enlèvement de la dernière récolte, le Maire prenait un arrêté autorisant le grappillage tout le monde se répondait alors dans les vignes, les uns pour enlever les grappilles , les vendre ou en faire du rapés ou piquette , les autres pour avoir le plaisir de lui manger sur place. Il en résultait que les maraudeurs de profession ayant la liberté de pénétrer impunément dans les vignes d’autrui, se permettaient très souvent d’enlever les navets ou autres légumes, ainsi que les fruits laissés par les propriétaires pour être récolter un peu plus tard. Des plaintes nombreuses s’étant produites, Monsieur le Maire Bonnet en vint à interdire le grappillage vers 1862 ou 1863 et cette mesure conservatrice a été maintenue jusqu’à présent. (25)

(26)

Le charroi de fumier , javelles de sarment , charnier ou échalas qui se faut aujourd’hui exclusivement par voitures, se faisaient vers la même époque à dos d’âne ou de mulet. Pour le transfert du fumier, on accrochant de chaque côté du bât un panier pouvant contenir cinquante litres et qui était de forme ronde sauf du coté où s’appuyait sur le flanc de l’animal. Pour le transport du charnier et des javelles (javelles de sarment) c’étaient des instruments appelés arjats qui étaient suspendus au bât également de chaque coté et sur lesquels on empilant le charnier et les javelles (javelles de sarment), même le fourrage. Les arjats étaient des espèces de crochets doubles, en bois, reliés par des traverses et ayant la largeur du bât et soixante ou soixante dix centimes de développement. On employait aussi des échelles pour le transport. C’étaient des petites échelles très légères, de la longueur de l’animal qui devait les porter et qui étaient attachées après le bât . Les échelons dépassaient les montants de 8 à 10 centimètres et permettaient d’y accrocher différents objets tels que besaces, porte dîner, etc.. Au moyen de ces transports à dos d’âne ou de mulet, on pouvait conduire les amendements , charniers ou autres objets jusqu’aux vignes où ils devaient être employés, en traversant les sentiers qui desservaient les différents vignobles. Ces sentiers, du reste, qui sont aujourd’hui sinon entièrement anticipés, du moins {Bonnin page : 19} réduits à leur plus simple expression, avaient alors 6 pieds ou deux mètres de largeur, de manière à ce que les ânes et les mulets employés pussent passer avec leur chargement sans endommager les vignes riveraines. Si quelques uns des lecteurs de mon travail ont pu en lisant de vieux titres de propriété se demander ce que signifiait l’indication que tel ou tel sentier desservant telle ou telle vigne, devait avoir la largeur suffisante pour y bâté et arjatté ils comprendront par l’explication que je viens de donner, l’utilité d’une semblable clause. (27)