Description de Sancerre de Léopold Bonnin : Le Chêne à la Rolline et son erreur judiciaire


Le Chêne à la Rolline et son erreur judiciaire ( Présent dans )(1)

Au mois de juin 1746 la nommée Jeanne Gravier , originaire de Bourges, épouse de Pierre Rollin , cavalier de la maréchaussée à Sancerre, fut arrêtée et conduite dans la Prison du Comté qui se trouvait alors dans les caves du bailliage (Rue de la Paix actuellement maison Bardellot ). Elle était prévenue d’avoir volé une paire de couverts d’argent dans une maison de la ville où elle allait tous les jours faire le ménage. (2)

Malgré ses dénégation les plus énergiques, elle fut pour ce fait condamnée le 24 juillet suivant par le bailli qui était alors Messire Thibault Nizon et sur les réquisitions de Monsieur Perrinet , Procureur fiscal , a être pendue sur la Place des Halles. (3)

Pendant tout le temps de sa prévention, elle avait déclaré qu’elle était enceinte et après la lecture de la sentence cette malheureuse renouvela sa déclaration en suppliant le bailli d’avoir pitié de son enfant et de surseoir à son exécution jusqu’après des couches. {Bonnin page : 461} Le bailli qui ne voyait dans cette demande qu’au moyen pour la coupable de retarder le moment fatal n’en tient aucun compte et le lendemain la malheureuse fut extraite de la Prison et amenée sur la place désignée pour le supplice. (4)

En passant devant la maison du bailli (actuellement le « café Moreau  »), Rue des Trois Piliers , elle ne cessait de crier : « Monsieur Nizon , Monsieur Perrinet , faites de mon corps ce que vous voudrez, mais pour l’amour de Dieu, ayez pitié de mon fruit. Ordonnez que l’on m’ouvre après ma mort vous verrez si j’ai dit la vérité. Devant une telle insistance, le bailli s’émut et ordonna qu’elle serait réintégrée en Prison et serait soumise à un examen médical pour savoir si oui ou non elle était enceinte. Monsieur Étienne Chrétien , âgé de quatre vingt quatre ans chirurgien à Sancerre et lieutenant des quatre chirurgiens jurés de la ville, fut commis à cet effet et après examen déclara qu’elle n’était pas grosse. Il ajouta « s’il est vrai qu’elle est enceinte qu’on m’exécute à sa place ». La femme Roblin persistait néanmoins dans ses déclarations. (5)

Une sage femme fut appelée, laquelle déclara catégoriquement que la coupable avait dit l’exacte vérité. (6)

Fort embarrassé, le bailli fit prier Monsieur Bardin , alors vicaire de Notre Dame de Sancerre, qui était aussi originaire de Bourges et connaissait parfaitement la femme Rollin pour avoir demeuré porte à porte avec elle dans cette dernière ville, de vouloir bien aller la voir en Prison et tâcher d’obtenir d’elle une déclaration franche sur sa position. La démarche fut faite, mais la femme Roblin persista dans ses dires. (7)

Sur l’affirmation du chirurgien , le bailli prit alors la résolution de faire exécuter le jugement. Apprenant ce qui venait de se passer, la vénérable Curé de Sancerre, Monsieur Michel Serais , se rendit au prétoire et supplia Messieurs de la justice de vouloir bien surseoir à l’exécution pendant un mois, délai durant lequel la vérité serait nécessairement connue. Il offrit même de payer de ses deniers la course du bourreau qu’on avait fait venir de Bourges . Il lui fut durement répondu : « Monsieur le Curé, faites votre devoir, de laissez nous faire le nôtre » (8)

Après cette réponse plus qu’inconvenante, Monsieur le Curé Serais se retira laissant au corps de justice la responsabilité de ce qui pouvait arriver. La malheureuse fut pendue le lundi 25 juillet sur la Place du midi de la Halle et quand elle eut cessé tout mouvement, elle fut décrochée jetée dans un tombereau et emmenée sur la lisière du Bois des Garennes où elle fut pendue à nouveau à la branche d’un chêne qui étendait ses rameaux au dessus du chemin dit du Carroir des Quatre Chemins à Bannay , à deux cents mètres ou plus du Grand Chemin de Sancerre à Bourges. (9)

Le lendemain mardi 26 juillet, une personne passant sur ce chemin aperçut {Bonnin page : 462} un enfant nouveau né au dessous du corps de la suppliciée. Elle vint en toute hâte à Sancerre en avertir la justice. Le Sieur Étienne Chrétien , chirurgien , prétendit pour se disculper que c’était une fille de mauvaise vie qui avait déposé là cet enfant à l’instigation de gens qui lui voulaient du mal. Cette obligation était d’autant moins fondé que le cordon ombilical de l’enfant correspondait encore au corps de la mère. (10)

Tout Sancerre se porta sur les lieux pour voir le fait. Des paroisses environnantes la foule s’y rendit aussi. (11)

Les magistrats tout honteux de leur précipitation et de la mauvaise tournure que prenait l’affaire et pour ne pas causer d’ennuis au Sieur Chrétien qui jouissait dans le pays d’une grande considération tout à cause de son âge qu’en raison de ses relations de famille, ne donnèrent aucune suite à cette affaire. (12)

L’enfant fut emporté et inhumé. Le corps de la femme Rollin resta suspendu et balancé par le vent jusqu’à la rupture de la corde qui la retenait à l’arbre. Il tomba sur le chemin où il fut enterré. (13)

Environ un an après, plusieurs personnes de la ville remarquèrent une pie apprivoisée qui transportait à son bec un objet luisant qu’elle alla cacher sous le faîtage d’une maison. Elles avertirent le propriétaire de la pie et tous ensemble allèrent chercher quel pouvait être l’objet caché. Quels ne furent pas leur étonnement et leur douloureuse surprise en trouvant dans le réduit que l’oiseau voleur s’était choisi, autre différentes pièces d’argenterie les deux couverts dont le vol avait été attribué à la femme Rollin . (14)

Le chêne où le corps fut suspendu existe encore et il sert de limite aux communes de Bué et de Sancerre, sur le plan cadastral de cette dernière commune, il est désigné sous le nom de Chêne à la Rolline . Chose étrange : il n’a pas pris de développement depuis lors et bien qu’il soit âgé de plus de deux cents ans, il n’est pas plus gros que ses voisins qui n’ont que quarante à cinquante ans. (15)

Le souvenir de cette triste aventure s’est perpétué chez les population de Vinon , Bué et Sancerre et après plus de cent trente ans. Il est peu de personnes qui passant sur la Route de Bourges et apercevant le Chêne à la Rolline ne pensant à cette malheureuse victime d’une erreur judiciaire. (16)